Que notre joie demeure...

Depuis deux jours, les mots me manquent. Je me retrouve souvent dans ce qu'écrivent les autres et cela me suffit. Depuis deux jours, je pleure aussi. Je repense à ce début d'année. Je repense à Charlie. Je m'interroge. Je me recueille. Je réfléchis. 

Nous avons tout vécu en direct, nous qui habitons le centre de Paris. Cet étrange silence, les hélicoptères qui survolent la zone, la recherche de nos proches, les téléphones qui ne répondent pas - le corps qui tremble de la tête aux pieds, sans pouvoir s'arrêter - et qui répondent enfin, puis l'interrogation pour savoir si nous pouvons sortir de la maison, juste pour aller faire une course. Nous sommes sortis.

Et finalement, samedi, j'ai décidé de partir à la campagne (comme je l'avais d'ailleurs prévu avant tout ça), de prendre un peu de recul, de me recentrer, de me réaxer, de me connecter à ce qui fait sens pour moi, de m'offrir un peu de douceur. Pas de télévision ici, une connexion internet pour le moins laborieuse, le feu dans la cheminée, le bruit du vent, le soleil ce matin. La vie. Que faire de tout cela ? Que faire d'une telle épreuve, à la fois collective et individuelle ? Quelle est l'opportunité qui y est sans nul doute cachée ? Je peux crâner, dire que je n'ai pas peur, je sais bien que ce n'est pas tout à fait vrai, je m'interroge pour les jours à venir. Je m'inquiète pour mes enfants, je m'inquiète pour le monde (je m'inquiétais déjà avant), je m'interroge sur ce que je dois faire, ou plutôt ce qu'il est juste que je fasse. Donner mon sang, m'engager à la Croix Rouge ou la Protection civile (je suis secouriste et thérapeute, je peux peut-être être utile à quelque chose...), soutenir des associations qui œuvrent pour un monde plus juste, plus équilibré, oui, peut-être. Travailler encore et toujours sur moi, pacifier davantage mes relations avec les autres, méditer, prier, sûrement.

Ma croyance profonde est que notre challenge, à nous humains, est d'apprendre à être sécure dans l'insécurité, de trouver notre équilibre à l'intérieur de nous, surtout lorsque l'extérieur est chaotique et bouleversé, à garder le cœur ouvert en toutes circonstances. Même les plus complexes. Et pour y parvenir, l'un des moyens consiste selon moi à conserver notre pratique - méditation, yoga, prière, connexion avec la nature, présence consciente à ceux que l'on aime, au choix... - tous les jours que Dieu fait, même les plus tragiques, même en pleurant, même le cœur meurtri, pour ne pas se laisser déstabiliser (ou le moins possible) par la terreur, la haine, et un tel déchaînement de violence.

C'est pourquoi, et vous m'en êtes témoins, je fais le choix de garder foi en cet élan vital qui m'anime et nous rapproche, et de l'émaner sans restriction pour honorer ceux qui sont morts, ceux que j'aime, ceux que j'accompagne et pour le monde. Malgré l'immense compassion que je ressens pour tous ceux qui sont touchés par cette tragédie, je fais le choix de refuser cette dualité simpliste qui voudrait qu'il y ait les méchants d'un côté dont nous serions les gentilles victimes, et donc de regarder au cœur de moi, la violence contenue, l'égoïsme, le désir de vengeance, mes mémoires de peur, afin de mieux les transformer. Oui, même si cela peut paraître simpliste et ça ne l'est finalement pas tant que ça, je fais le choix de l'amour, de la foi, de la joie une nouvelle fois. Et même si je dois un peu me forcer au début, je sais que petit à petit, mon cœur se mettra à l'harmonie, à l'unisson d'un tel choix. Je fais le choix de sourire, même les larmes aux yeux, et de croire encore et toujours qu'un monde meilleur est possible, j'ai la conviction que dis-je la certitude qu'il émergera d'un tel chaos.

Une femme que j'aimais beaucoup est morte vendredi, je ne dirai pas que nous étions amies, mais nos cœurs étaient en harmonie. Je suis bouleversée par son départ, qui me semble tellement injuste, son engagement dans le monde était si puissant, si lumineux. Lorsque mon père est mort il y a des années de cela, je me répétais la chanson, "There're should be an answer, let it be"*. C'est ce que je me dis aujourd'hui, lorsque je pense à Véronique, lorsque je vois le visage de tous ces jeunes gens morts vendredi, si beaux, si vivants. There're should be an answer*. Je vous en supplie, n'en doutons pas.

*Il doit y avoir une réponse, ainsi soit-il.

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